Le Domaine Denis Mortet à coeur ouvert

DomDenisMortetDégustation à l’appui, Arnaud Mortet nous parle du millésime 2012, du bio, du boisé et de ses défis à la vigne, entre autres choses.

Mai 2013. En arrivant au Domaine Denis Mortet à Gevrey-Chambertin par un matin pluvieux, on est accueilli par un Arnaud Mortet souriant mais un brin soucieux tout de même, à cause de la météo.

« Nous avons eu beaucoup d’eau dans les sols à fin avril, » nous dit-il. « On doit faire face à la pression du mildiou, et là la vigne stagne, il n’y a rien qui bouge, il faudrait deux à trois semaines à 20°C avec un peu de vent du nord. » Un vœu qui n’a pas été exaucé, loin de là, tout le processus a pris du retard et 2013 s’annonce comme un nouveau millésime assez compliqué.

Crée en 1956 par Charles Mortet, le domaine vend jusqu’au début des années 1980 l’essentiel de ses raisins au négoce.

C’est son fils Denis qui commercialise alors les premières bouteilles et crée le domaine à son nom lorsqu’il en prend la succession en 1993.

À cette date, ses vignes s’étendent sur 4,5 hectares. Plusieurs parcelles ont été acquises depuis et Arnaud Mortet trône aujourd’hui sur un patrimoine de quelque 13 hectares.

Le fils de Denis a repris le flambeau en 2005 et s’occupe désormais du domaine avec sa mère Laurence.

Arnaud Mortet ne cache pas que, comme son père et son grand-père, c’est à la vigne qu’il se sent le mieux, car c’est là que (presque) tout se passe.

Dans son esprit, le respect de la terre et de la nature demeure primordial.

Mais contrairement à ce que beaucoup croient ou à ce qu’on a pu lire jusque dans des revues spécialisées, le Domaine Denis Mortet n’est pas en bio.

«Nous essayons de faire le maximum en bio mais nous ne sommes pas bio à 100%. S’il y a longtemps que nous n’utilisons plus d’herbicides ni d’insecticides, nous devons faire attention avec le mildiou et l’oïdium, » explique Arnaud Mortet. « En 2008 nous n’avons pas utilisé de fongicides et ça a été extrêmement difficile. En 2012 nous avons été contents de les avoir. Nous n’avons pas fait beaucoup de traitements mais au bon moment. »

« Mes collègues en bio n’ont fait qu’une demi-récolte alors que je m’en suis pas trop mal tiré avec seulement un petit tiers en moins. Nous n’avons pas eu de vacances, pas beaucoup de week-ends tranquilles mais le travail a payé, à défaut de la quantité, il y aura des vins très intéressants, » ajoute-t-il.

Arnaud Mortet estime que, comme 2008 et 2010, 2012 sera un millésime de grande garde.

Le domaine Arnaud Mortet en bref

Environ 13 hectares de vignes réparties de la façon suivante : Bourgogne (1 ha), Fixin (0,9 ha), Marsannay (0,2 ha), Côte des Longeroies, en Marsannay (1 ha), Gevrey-Chambertin Villages (6 ha) et le reste réparti sur des parcelles à Chambolle-Musigny (1er cru Les Beaux Bruns), Vougeot (Clos de Vougeot Grand Cru), Gevrey-Chambertin 1er cru (Lavaux Saint-Jacques, Les Champeaux, Petite Chapelle, Cherbaudes, Champonnet et Bel Air) et Chambertin Grand Cru.

Les plus jeunes parcelles sont âgées de 18 ans en Marsannay, de 30 ans à Gevrey-Chambertin, sinon toutes les vignes ont entre 50 ans et 108 ans pour la plus vieille.

Viticulture

Sélection de plants fins, petits rendements : de l’ordre de 40 hl/ha dans leur jeunesse, entre 20 et 25 hl/ha dans les vieilles vignes, 35-40 hl/ha en moyenne générale.

Taille en guyot simple. De nombreuses parcelles sont labourées uniquement (Les Champeaux) ou partiellement à cheval (Lavaux St-Jacques, Petite Chapelle, Cherbaudes, Champonnet, Bel Air, Clos de Vougeot, Chambertin).

Pas d’engrais ni de désherbants chimiques.

Vinification

Peu d’intervention en cave. Les raisins sont triés rigoureusement et égrappés. Les fermentations alcooliques se font avec les levures indigènes. Quant aux fermentations malolactiques, Arnaud Mortet aime bien qu’elles se fassent en mai, juin ou juillet de la première année d’élevage. « Comme cela on gagne en structure et ça fixe les couleurs, » explique-t-il. « On monte la température à 14-15°C et ça part naturellement. » Avant d’ajouter : « En 2008, les malos se sont faites très tardivement, il a fallu être patient, ça a été un casse-tête. En fait je n’ai pas beaucoup aimé ce millésime, je crois que je n’aimerai jamais ces vins car ils m’ont trop embêté ! En même temps, j’ai appris plein de choses. »

« J’aime bien me bagarrer dans les vignes, j’aime bien les défis, mais les vinifications et l’élevage, honnêtement je préfère quand ça se passe tranquillement, » poursuit-il. « Moins je touche en cave, mieux je me porte, je fais très peu de soutirages, beaucoup moins d’extraction qu’avant, j’ai changé le style de la maison. Il est loin le temps où on faisait de longues cuvaisons, trois pigeages par jour. Tout cela c’est fini. Le Pinot noir est un cépage délicat, qu’il faut ménager et il est donc préférable d’intervenir le moins possible. Personnellement, je ne suis pas du tout technique, je veux qu’on retrouve dans mes vins cette élégance, cette délicatesse du Pinot noir bourguignon, tout en conservant de la structure. »

À propos des vendanges entières, Arnaud Mortet précise qu’il a fait quelques essais. « Mais de toute façon, notre égrappage est très léger, il laisse de grosses billes. Dans le futur, la tendance va dépendre des millésimes. Dans les millésimes chauds, je serai davantage tenté de ne pas érafler, » dit-il.

Élevage 

18 mois en moyenne pour toutes les appellations sauf Fixin, Marsannay et Bourgogne où Arnaud diminue le temps d’élevage (1 an en fût et 3 mois en cuve)

La tendance va vers des élevages moins longs et des proportions moindres de fûts neufs. « En 2010 et 2011, je tâtais un peu le terrain en terme de boisés, 2012 annonce le grand virage vers beaucoup moins de barriques neuves, » explique Arnaud Mortet.

Et de poursuivre : « Il fut un temps où c’était une obsession, on pensait qu’on ne pouvait pas faire de grands vins sans un maximum de bois neuf. Aujourd’hui je suis persuadé du contraire. On gagne en élégance avec moins de fûts neufs. Jusqu’en 2005, nos vins étaient élevés dans 100% de bois neuf. Chaque année qui a suivi, j’ai baissé ce pourcentage. En 2012 et 2013, je serai arrivé exactement là où je veux être. On se démène dans la vigne pour avoir des beaux raisins et faire des vins élégants, alors ce serait trop bête de masquer tout cela avec du bois. »

Aujourd’hui, la proportion est de 15% de fûts neufs pour le Bourgogne, 20% pour le Marsannay et le Fixin, et des fûts de un ou deux vins pour le reste. Elle varie entre 30% et 100% pour les autres cuvées.

ArnaudMortet

Dégustation 

Tous les vins ont été dégustés sur fût avant la fermentation malolactique.

Marsannay Les Longeroies 2012

Ensemble très fruité, bouche soyeuse, avec de la vivacité, fraîcheur tannique et allonge bien présentes.

Fixin Champs Pennebaut (Vieilles Vignes) 2012

Épicé et fruité, la trame est d’une belle pureté, longiligne, tonique, avec une touche florale notable.

Gevrey-Chambertin 2012

Issu des plus jeunes vignes (mais tout de même âgées de 40 à 45 ans !), le Gevrey-Chambertin Village exhale le cassis, la mûre, la myrtille. On retrouve une petite note de ronce en bouche. Celle-ci dévoile une belle droiture.

Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes 2012

Issue de vignes sur coteaux, âgées de 70 à 80 ans et situées juste en-dessous des premiers crus, cette cuvée se montre florale, épicée, ample, lissée, d’une belle précision aromatique, avec une finale sur les fruits noirs.

« Avec le Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes, on peut toujours se permettre de belles maturités de raisin car on a une acidité suffisante pour maintenir l’équilibre, » précise Arnaud Mortet.

Gevrey-Chambertin En Champs 2012

En Champs provient aussi de vieilles vignes en coteaux mais ici les meilleurs raisins sont sélectionnés, avec l’objectif de conjuguer finesse, élégance et matière propre au terroir. Le nez s’ouvre sur un beau fruit noir (cerise, mûre) et une touche poivrée. La bouche se révèle ample et tonique, très en longueur. Les tanins sont encore fermes, c’est une cuvée qui va s’affiner avec l’élevage mais qui gardera cette fraîcheur déjà notoire. Le niveau est celui d’un premier cru.

Gevrey-Chambertin 1er cru 2012

Le 1er cru est issu de quatre climats différents : Cherbaudes, Petite Chappelle, Champonnet et Bel Air. Elevage en fûts neufs et fûts de un vin à parts égales. Il se présente minéral et complexe, avec un nez sur la fraise, la mûre, le poivre et la réglisse, et une grande finesse de bouche, une douceur tannique , une pureté et une élégance de fruit qui le rendent déjà émouvant.

Gevrey-Chambertin 1er cru Les Champeaux 2012

Nez un peu plus fermé que le précédent. En revanche, la bouche se caractérise par un dynamisme au fruité éclatant, sur une jolie trame épicée et des tanins ciselés. La longueur est remarquable.

Gevrey-Chambertin 1er cru Lavaux-St-Jacques 2012

Ce climat est exposé plein sud mais le courant d’air de la combe lui assure la fraîcheur. Nez poivré, réglissé, avec une note grillée. Fraîcheur ciselée, superbe précision tannique, équilibre parfait. Un vin déjà sublime.

Chambolle-Musigny 1er cru Aux Beaux Bruns 2012

Très belle définition du fruit, avec quelques arômes de sous-bois, et une touche minérale aussi. La bouche fait preuve d’une rare finesse avec des tanins précis comme de la dentelle, une profondeur magnifique et un grillé charmeur dans la longue finale.

Clos Vougeot Grand Cru 2012

Finement boisé, réglissé, senteurs de tabac blond, de violette et de fruits noirs, suave, velouté, avec une extraordinaire délicatesse de tanins. On retrouve un fruit très fin dans l’interminable finale

« Je ne recherche pas l’extraction sur le Clos Vougeot. Je pense que ce vin correspond bien à mon style, » dit Arnaud Mortet.

Chambertin Grand Cru 2012

Le boisé est encore présent au nez (100% de fûts neufs ici). Vif en bouche avec des tanins pour l’heure un peu fermes. Un vin tendu qui doit se mettre en place mais la matière est là, très noble, très longue.

« Il commence sa malo, donc il est à l’âge ingrat, » explique Arnaud Mortet. « C’est toujours comme ça, c’est celui qui a le plus besoin de temps. Souvent, il s’exprime d’un coup et à la fin il écrase tout le monde ! »

 PlansMortet

Photos:

En haut: l’entrée du domaine.

Au centre: Arnaud Mortet.

En bas: 2000 plants pour remplacer les souches mortes dans les vignes. « Nous remplaçons environ 2000 plants par an sur 13 hectares, donc un taux de mortalité annuel de quelque 1,7%. »

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