Les vins de Jim Harrison

J’aime beaucoup d’écrivains différents mais si je devais en sortir un du lot, ce serait Jim Harrison. Grand romancier et nouvelliste, le natif du Michigan est aussi un épicurien et oenophile patenté.

Ce blog étant consacré au vin, je ne digresserai pas sur la flamboyance du style de Jim Harrison, son foisonnement philosophique et la fulgurance d’observations sur lesquelles il entrelace de grandioses fresques humaines.

Les lignes qui suivent s’attardent brièvement sur une autre constance de son oeuvre : la bonne chère, le festin, la bombance, le plaisir bachique.

« Mange ou meurs!»

« Mange ou meurs! » Jim Harrison chérit cette maxime du poète russe Lermontov. Et dans son autobiographie En marge, le vin ouvre le bal de ses (sept) obsessions. Peintre de la nature qui ne chasse et pêche que pour s’offrir des repas pantagruéliques, Big Jim arrose ces derniers des meilleurs crus.

Il est évidemment question de vin tout au long de son essai « gastronomique » Les aventures d’un gourmand vagabond,  mais également dans la plupart de ses romans et nouvelles. Jim Harrison fait boire à ses héros (et héroïnes) les vins qu’il aime particulièrement. Et non des moindres.

Quelques folies

Les droits cinématographiques de certaines de ses longues nouvelles (Légendes d’automne, L’homme qui abandonna son nom) et l’écriture de scénarios pour l’industrie hollywoodienne lui ont à une époque permis de faire quelques folies, comme racheter la collection de grands crus d’un homme d’affaires.

La cave de Jim Harrison a donc accueilli des Château Yquem, Château Lafite, Château Latour ou Château Margaux dans des millésimes d’exception comme 1970 ou 1982, ainsi que l’Hermitage de Jean-Louis Chave.

Dans ses romans et nouvelles, il mentionne cependant plus souvent une appellation qu’un domaine particulier. On boit ainsi un Sauternes, un Margaux, un Echezeaux ou un Barolo. Parfois il est tout de même précisé que c’est un Petrus, un Château Margaux, un Château Lynch-Bages ou un plus modeste Château Labégorce. Ou encore le Chianti d’Isole e Olena.

Rhône et Provence

S’il a fait l’apologie des grands Bordeaux et Bourgogne, Jim Harrison avoue désormais une attirance particulière pour les vins du sud de la France, en particulier les Châteauneuf-du-Pape, Gigondas et Vacqueyras. Il raffole aussi du Bandol de Tempier, domaine qu’il visite à chacun de ses séjours en France, ayant tissé des liens d’amitié avec la famille Peyraud.

Dégustation 

Pour ces quelques notes de dégustation, je n’ai volontairement choisi que des vins dont le domaine était expressément nommé dans un des romans de Jim Harrison (et que j’avais en cave). La liste n’est donc (de loin) pas exhaustive. Je la compléterai autant que possible au gré de futures dégustations.

Commençons par la bouteille la plus prestigieuse. Ainsi, dans De Marquette à Veracruz, David Burkett (le narrateur) n’hésite pas à chaparder des grands crus bordelais dans la cave de son père pour égayer ses rendez-vous galants. Extrait:

J’ai sorti les trois bouteilles de vin préparées par Jesse à mon intention (…). Vernice est soudain devenue irritable, car ces bouteilles (…) valaient une fortune et je les avais rangées debout dans un placard surchauffé du chalet. « Je pourrais vendre ces bouteilles à Chicago et m’offrir un mois agréable en France, » dit-elle (…). « Et merde. J’ai jamais eu l’occasion de goûter à ce genre de truc. » Elle a débouché la bouteille de Petrus et servi deux verres (…). Elle a pris en bouche une longue gorgée, qu’elle a gardée longtemps, puis elle a frissonné.

Château Petrus, Pomerol 1993

J’ai eu la chance de déguster cette bouteille grâce à un couple d’amis gastronomes. Bien que n’étant pas un buveur d’étiquette, je puis sans autre affirmer que ce Petrus répond à toutes celles et ceux qui se demandent quelle différence il y a entre un très bon et un grand vin.

Car ici on touche au sublime, du premier coup d’oeil sur la robe, d’un grenat dense presque noir auréolé de teintes cuivrées, jusqu’à l’ultime caudalie de l’interminable finale. Les arômes évoluent dans le verre, se bousculant presque frénétiquement pour apparaître, tourbillon de cuir, de musc, de figue, de liqueur de framboise, d’humus, de réglisse et de vieille rose. La bouche séduit vos sensations tactiles: un toucher somptueux, du satin aux senteurs truffées et mentholées, un écrin d’harmonie qui vous laisse dans une sorte d’apesanteur, un balancement entre la profondeur de ce vin mythique et son déliement aérien. Emouvant.

Château Labégorce, Margaux 1998

Lors d’une de ses innombrables pérégrinations sylvestres, Jim Harrison emporte une bouteille de Château Labégorce. Pendant longtemps, les Château Labégorce et Labergorce-Zédé ont été deux domaines différents, regroupés en 2005 par la famille Perrodo puis fusionnés sous la seule dénomination Labégorce en 2009.

Nez intense et complexe de fruits mûrs (pruneau, cerise, mûre), de cuir, de tabac et d’épices (poivre, réglisse) avec une touche mentholée et un boisé bien fondu. En bouche, l’attaque est ronde, avec de la fraîcheur et une texture qui joue davantage sur le velouté que sur la densité. Belle persistance en finale.

Château Labégorce-Zédé, Margaux 2002

Nez boisé (cèdre), avec des notes animales (cuir), un fruité mûr (verger : pruneau, cerise, figue) et des plantes aromatiques (touche mentholée, réglisse). La bouche est ronde, dans une matière de moyenne ampleur. On retrouve les arômes du nez. L’ensemble se montre équilibré et digeste, avec des tanins fins et de l’allonge.

Isole e Olena, Chianti Classico 2006

La cuisine italienne est à l’honneur dans plusieurs romans, accompagnée alors de Barolo, de Barbaresco ou de Chianti. Dans ce dernier cas, Jim Harrison plébiscite celui d’Isole e Olena.

Ce 2006 s’impose par une belle expression aromatique où se mêlent la mûre et la cerise, les épices (cannelle, réglisse), les notes florales (rose, violette), le pain grillé et même une touche animale. Il respire la fraîcheur, ne manque pas de structure et fait preuve d’une belle fluidité, l’harmonie prenant le pas sur la concentration. Un vin allègre et agréable.

Tempier La Tourtine, Bandol 2002

Le Bandol de Tempier a progressivement remplacé les Bordeaux dans la cave de Jim Harrison, lequel semble aimer autant la Migoua que la Tourtine, qui sont, avec Cabassaou, les cuvées phares du domaine.

Un peu réduit de prime abord, le nez de ce La Tourtine 2002 s’ouvre, après carafage, sur les fruits noirs compotés, le cuir, le sous-bois, l’humus et le café. À cette belle complexité, la bouche répond par une matière corsée aux arômes de fraise bien mûre et de boisé mentholé, qui s’appuie sur une solide structure tannique. La finale s’éternise. Dans un millésime difficile, Tempier tire manifestement son épingle du jeu.

Bibliographie de Jim Harrison (oeuvres traduites en français)

Lointains et Ghazals, poèmes, 1971
Wolf, 1971
Un bon jour pour mourir, 1973
Lettres à Essenine, correspondance fictive, 1973
Nord Michigan, 1975
Légendes d’automne, nouvelles, 1979
Sorcier, 1981
Faux soleil, 1984
Dalva, 1988
Théorie et pratique des rivières, poèmes, 1989
Entre chien et loup, essai, 1990
La femme aux lucioles, nouvelles, 1990
Julip, nouvelles, 1994
L’éclipse de lune à Davenport, poèmes, 1996
La route du retour (suite de Dalva), 1998
En route vers l’ouest, nouvelles, 2000
Aventures d’un gourmand vagabond, chroniques, 2001
En marge, mémoires, 2002
De Marquette à Veracruz, 2004
L’été où il faillit mourir, nouvelles, 2005
Retour en terre (suite de Marquette à Veracruz), 2007
Une odyssée américaine, 2008
Les Jeux de la nuit, nouvelles, 2010
Grand Maître, 2012

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