Silence, on est chez Henri Bonneau!

Entrer chez Henri Bonneau, pénétrer dans son chai à Châteauneuf-du-Pape, c’est l’assurance d’un voyage hors du temps. Rencontre presque furtive avec un vigneron mythique.

Henri Bonneau, 74 ans, c’est l’un des (le?) pape de Châteauneuf, un personnage légendaire comme on en croise habituellement dans les romans ou dans un film.

Lui est là en chair et en os, paysan-vigneron au sourire malicieux, prêt à dégainer cette ironie qu’il manie comme un mousquetaire le fleuret.

Un autre géant

Et il se trouve en grande compagnie : Nady Foucault, du Clos Rougeard, domaine ligérien d’exception, est son invité ce jour-là.

Henri Bonneau et Nady Foucault

Alors que fait-on quand deux géants communient ainsi ? On se tait. On les laisse à leurs souvenirs et leurs anecdotes. On écoute leurs prévisions, leurs échanges d’expérience à propos de la Loire et du Rhône, de leurs vignobles, de leurs vins.

On prend le temps d’observer, d’entendre, de humer, de ressentir, d’apprécier, de goûter, de se souvenir soi-même. On n’a pas encore levé un verre mais on boit déjà.

Caverne labyrinthique

Dans la pénombre humide et vaporeuse de son chai – son antre plutôt, une caverne labyrinthique où l’on a l’impression de remonter le temps de quelques siècles – les mots de Henri Bonneau se font plus rares mais restent lumineux, comme la fulgurance d’une étincelle. Les apparences rurales cachent une sensibilité vraie.

Il dit son attachement aux gens et à leurs histoires, il distille au compte-goutte l’un ou l’autre fragment d’existence des personnes qu’il aime ou a aimé côtoyer.

La face cachée du vin

Du vin en général, il affirme d’ailleurs que ce qui lui plaît c’est sa face cachée, ce qu’il y a derrière, l’image renvoyée, le miroir de celui ou celle qui l’a créé, avec ses doutes et ses émotions, ses audaces et ses rêves, ou son originalité.

De ses vins à lui, il ne parle guère. On se risque tout de même à demander pourquoi la Réserve des Célestins 2006 est déjà en bouteille alors que la Cuvée Marie Beurier ne l’est pas, et pourquoi tous les 2005 sont encore en fût.

« La seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règle, » répond-il simplement. Typiquement Bonneau.

Et pour tout de même étoffer un peu son propos : « C’est la dégustation qui décide toujours. Dans le même lieu, le même récipient, à la même heure. »

La primauté du goût, des sensations, de l’instinct sur tout mécanisme œnologique, toute procédure technologique. L’esprit plutôt que la méthode.

Hérésie ? Goûtez les vins de Henri Bonneau et leur profondeur vous convaincra que les hérétiques sont ailleurs, de l’autre côté, celui des beaux discours qui expliquent tout (ou croient tout expliquer).

Parker mouché

À ce sujet, le maître de céans ne manquera jamais de rappeler sa pique au critique américain Robert Parker, qui vient goûter – et encenser – ses vins chaque année : « En 2002, Parker m’a dit qu’il n’aimait pas trop mon vin de ce millésime. Je lui ai répondu qu’il devait venir à la pêche avec moi et que je saurais le lui faire apprécier à l’heure du casse-croûte… »

Et de conclure : « Je préfère boire un vin basique avec des gars sympas qu’un grand flacon avec un imbécile ! » Signé Bonneau.

Dégustation

Henri Bonneau réalise trois cuvées de Châteauneuf-du-Pape issues de six hectares dont un tiers sur le fameux terroir de la Crau et où le Grenache domine largement (près de 90%) : La Réserve des Célestins (son grand vin), Marie Beurrier, et le « simple » Châteauneuf-du-Pape. Une Cuvée Spéciale a été produite en 1990 et 1998.

Avec son fils Marcel, il propose aussi un Vin de Table, Les Rouliers, qui provient d’une parcelle de vieux Grenache située dans le Gard. Travaillé avec la même philosophie que les Châteauneuf-du-Pape, il n’en a certes pas la complexité mais séduit par sa fraîcheur et son fruité épicé et gourmand.

La marque de fabrique de Henri Bonneau, ce sont évidemment des rendements extrêmement faibles, des fermentations très longues (raisins peu ou pas égrappés, levures indigènes, cuves béton) et des élevages interminables – au moins six ans, souvent plus – avec très peu d’intervention, dans des foudres, demi-muids et barriques qui n’ont pas d’âge. Les vins ne sont ni collés ni filtrés, à peine sulfités.

Réserve des Célestins 2009, sur fût

Arômes de petits fruits rouges et de pamplemousse, structuré avec une finesse de chair splendide et un fondu des tanins déjà magnifique, allonge tout en suavité. Un vin parti pour atteindre des hauteurs stratosphériques.

Cuvée Marie Beurrier 2008, sur fût

Les notes florales (violette), de sous-bois et de réglisse accompagnent le fruité, on retrouve au palais cette douceur de texture propre au grand vin, soutenue par une belle acidité.

Réserve des Célestins 2008, sur fût

Nez plein de fruits noirs et d’agrumes (orange sanguine, pamplemousse), bouche d’une grande fraîcheur, longiligne et savoureuse, aux arômes légèrement kirschés, tanins fermes, en passe de s’adoucir.

Cuvée Marie Beurrier 2007, sur fût

Le nez évoque la rose, l’amande, la cerise noire et le kirsch. Attaque sur la rondeur, dans une structure équilibrée, à la puissance mesurée et aux tanins policés, longue finale florale. Voilà un ensemble déjà très avenant.

Réserve des Célestins 2007, sur fût

Belle complexité aromatique avec des notes de cerise, de mûre, d’amande, d’épices douces et les nuances chocolatées propres au vieux Grenache. Une finesse extrême marque la bouche, où richesse et fraîcheur s’équilibrent en parfaite harmonie sur un grain velouté et une finale mentholée. Il y a de la magie dans ce vin.

Cuvée Marie Beurrier 2006, sur fût

Le nez exhale des parfums de fraise et de cerise mûres, de sous-bois et de réglisse. En bouche, la matière se fait dense, caressante, avec une onctuosité noble et une délicatesse de tanins irréprochable. La finale se prolonge sur une touche florale rafraîchissante. Un vin à l’équilibre irrésistible !

Cette cuvée est désormais en bouteille et commercialisée.

Réserve des Célestins 2006, en bouteille

Précision et pureté de fruit (baies noires, cerise, pruneau) caractérisent le nez, très élégant, complété par des arômes de violette et une pointe de réglisse et de menthol. On perçoit aussi cette élégance dans une bouche à la trame tendue, appuyée sur une belle acidité et des tanins serrés. Une bouteille au grand potentiel mais qui procure déjà du plaisir.

Réserve des Célestins 2005, sur fût

Nez sur le cuir, les fruits à noyau et les épices, grande souplesse en bouche, matière séveuse, structure élancée, tanins bien mûrs, on retrouve cette élégante touche mentholée dans la longue finale.

Cuvée Marie Beurrier 1999

Nez très expressif sur la cannelle, le cuir, le gibier et les fruits mûrs (cerise, fraise), beau volume en bouche, corps sphérique, au fruité encore bien présent. Les tanins se fondent dans une finale qui s’étire avec beaucoup de grâce. Quelle finesse !

Réserve des Célestins 1998

L’intensité et la complexité aromatiques sont phénoménales, c’est une explosion de fragrances : cerise au kirsch, amande, cuir, gibier, fourrure, cacao, épices douces. La bouche est grasse, crémeuse, avec une note de rancio et des tanins pulpeux mais elle évolue sans lourdeur aucune et semble ne jamais se terminer. Il y a une sorte d’extravagance dans ce vin mais elle est magnifiée, affinée, épurée par la justesse de l’élevage. C’est la « patte » de Henri Bonneau.

Réserve des Célestins 1990

La richesse du nez n’a rien à envier au vin précédent, elle s’exprime sur le cacao, les raisins de Corinthe, le cuir et la truffe. Le toucher de bouche se révèle somptueux, avec une texture patinée, des tanins soyeux, de l’ampleur et une finale au raffinement truffé. L’ensemble conserve même un supplément de fraîcheur par rapport au millésime 1998 de la même cuvée. On atteint le sublime !

Les vins de Henri Bonneau sont disponibles au Millésime, à Vevey (importateur exclusif pour la Suisse).

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