À Murviel-lès-Montpellier, en appellation St-Georges d’Orques, le Domaine de La Marfée et Thierry Hasard jouent la carte du Mourvèdre et de la biodynamie. Avec réussite.
Thierry Hasard fuit la lumière des projecteurs. Il se moque de figurer ou non dans les guides et préfère avancer sans faire de bruit, progresser au gré de sa passion. C’est elle qui le guide dans ce métier de vigneron qui n’était pas le sien au départ.
Car le frère d’Alain Hasard, du Domaine des Champs de l’Abbaye, en Bourgogne, a beau avoir fait des études de comptabilité, il était écrit qu’il reviendrait à la terre un jour.
Écologiste avant l’heure
« J’étais un écologiste avant l’heure, » se souvient-il. « Mon bac en poche, je voulais étudier l’écologie mais mon père m’en a dissuadé parce que, selon lui, je ne trouverais pas de travail dans ce domaine. »
Pourtant, en 1997, sa décision est prise : il troque les chiffres contre l’art du vin.
À travers le Languedoc
Il part en quête d’un bon terroir, sillonne le Languedoc accompagné d’un conseiller de la Chambre d’Agriculture, lequel lui suggère de s’arrêter finalement à Murviel-lès-Montpellier, où il reprend cinq hectares d’un coopérateur parti à la retraite, en arrache trois et fait du vin sur les deux autres, avec d’emblée une démarche biologique.
Jusqu’en 2007, Thierry Hasard vinifiera au Château de Fourques et élèvera ses vins au sous-sol de sa maison à Montpellier, aménagé en chai.
Cuvier et chai tout neufs
Il est désormais installé sur les hauts de Murviel-lès-Montpellier, où il a construit un cuvier et un chai tout neufs. Les cuves (inox) sont remplies par gravité. Quelques dizaines de fûts et de demi-muids de plusieurs vins ainsi que six cuves ovoïdes en béton (6 hl) composent le chai.
Quant au domaine, il a grandi puisque La Marfée compte désormais 9 hectares de vignes.
La biodynamie révélée
Le Domaine de La Marfée est certifié en agriculture biologique et biodynamique. Thierry Hasard a été convaincu par les vertus de la biodynamie lors d’un stage en Beaujolais en 2003.
« Le stage était conduit par Pierre Masson dont le langage s’est révélé audible, crédible et sérieux. J’ai été séduit, j’ai décidé d’essayer et acheté un dynamiseur dans la foulée, » explique-t-il.
Et d’ajouter : « Je pense que j’ai déjà gagné quelque chose grâce à la biodynamie, mes vignes sont plus vivantes, les vins plus purs. »
S’ils ne se voient pas souvent, faute de temps, les frères Hasard ont plusieurs points communs, outre celui de créer des beaux vins : le partage d’une passion inébranlable, un parcours symétrique et parallèle, la même pertinence du discours, un goût identique pour le travail méticuleux. Et surtout, une personnalité infiniment attachante.
DOMAINE DE LA MARFÉE EN BREF :
Terroir
Argilo-calcaire du jurassique, grès et chailles (sols ferrugineux dominés par la silice). Les 9 hectares de vignes du domaine sont répartis ainsi : 3,5 ha de mourvèdre, 2,5 ha de Syrah, 1 ha réparti entre Grenache et Carignan et 2 ha répartis à raison de 60% de Roussanne, 30% de Chardonnay et 10% de Petit Manseng. Les vignes les plus jeunes ont 12 ans environ, les plus vieilles 60 ans (Carignan). Les Grenache ont entre 40 et 60 ans, les Syrah 40 ans et les Mourvèdre 25 ans. Thierry Hasard a aussi planté de la Counoise cette année. Mais il ne cache pas que le Mourvèdre est son enfant chéri.
Viticulture
Biologique et biodynamique (préparations à base de bouse de corne et de silice, prêle, ortie, suivi du calendrier lunaire, etc.), très petits rendements (20 hl/ha), vendanges manuelles. Labour des sols selon les millésimes. « Les labours, c’est un peu le casse-tête chinois, » avoue Thierry Hasard. « Ce n’est pas nécessairement bon pour le sol mais en cas de fortes chaleurs on ne peut pas laisser non plus la végétation entre les rangs concurrencer la vigne pour les ressources hydriques. »
Vinification
En blanc, les fermentations se font en fût (demi-muids), suivies d’un élevage de 12 mois environ. En rouge, les raisins sont éraflés et foulés légèrement avant de fermenter en cuves inox. Utilisation des levures indigènes, sulfitage réduit au minimum. Les élevages durent ensuite quelque deux ans en barriques de plusieurs vins et cuves béton ovoïdes. Les vinifications sont réalisées en parcellaire, « à la bourguignonne ». La décision sur les assemblages est prise au dernier moment, en fonction des dégustations.
Dégustation
Le Domaine La Marfée produit quatre cuvées en rouge (Les Gamines, Della Francesca, Les vignes qu’on abat et Les champs murmurés) et une cuvée en blanc (Frissons d’ombelles) ainsi qu’une micro-cuvée rouge issue de raisins passerillés (Sugar Baby Love) et un rosé.
Syrah 2011 sur fût, plus jeunes vignes, destinée à la cuvée Les Gamines
Récoltée à 12° d’alcool potentiel, cette Syrah se montre déjà très avenante, stylée, pétrie de fraîcheur. Thierry Hasard précise à ce propos qu’il tend à préférer le millésime 2011 à 2010. « Je n’ai eu aucun problème en 2011, nous avons bénéficié des pluies qu’il fallait quant il fallait, l’été n’a pas été caniculaire – je déteste les étés caniculaires – bref, ça a été cool toute l’année ! »
Syrah 2011 sur fût, parcelle sur terroir argilo-calcaire, destinée à une cuvée encore à déterminer
Plus « marquée Syrah » que la précédente, avec ces notes fumées et poivrées typiques et un caractère plus tannique.
Syrah 2011 sur fût, petite parcelle de vieilles vignes sur chailles, destinée à la cuvée Les champs murmurés
La matière montre une belle rondeur – c’est la plus arrondie des trois – et des tanins au grain soyeux prometteur.
Mourvèdre 2011 sur fût, destiné aux cuvées Della Francesca et Les champs murmurés
On l’a mentionné : à La Marfée le Mourvèdre est roi. Celui-ci se signale par un nez floral et de fruit à noyau, et déjà une élégance certaine en bouche, avec une souplesse de tanins qui surprend quant on connaît la tannicité marquée propre à ce cépage.
Sugar Baby Love 2011 sur fût (sera commercialisé en 2017)
Nez sur la fraise, la cerise et la liqueur de framboise, en bouche beaucoup de fraîcheur au-dessus du sucre. Thierry Hasard explique avec un demi-sourire que Sugar Baby Love défie tous les canons de l’œnologie : « Je n’interviens pratiquement pas, je goûte de temps en temps, ouille parfois, pour le reste, je laisse faire le vin complètement. Je ne sais pas trop ce qui se passe dans ce fût, peut-être même qu’il fait sa malo sur ses sucres ce que la théorie déconseille, mais franchement je ne m’en soucie guère. »
Sugar Baby Love 2009 sur fût (sera commercialisé en 2015)
Ici c’est la noix et le sotolon qui dominent déjà, on a un nez de Porto, alors que la bouche fait preuve de suavité et de fraîcheur à la fois, avec un fruit (coulis de framboise) encore bien présent.
Frissons d’ombelles 2009
60% Roussanne, 30% Chardonnay, 10% Petit Manseng. Nez expressif sur l’abricot, la pêche et l’écorce d’orange, avec une touche anisée. Gras en attaque, jolie texture moelleuse aux arômes de fleurs blanches, finale effilée, sans lourdeur, on ne sent pas le solaire du millésime 2009.
Les Gamines 2009
Mourvèdre et Syrah à parts égales. Nez éclatant de cassis et de mûre, avec des notes de garrigue, de poivre et de pain grillé, tonicité en bouche, matière épicée aux tanins encore serrés mais sans aspérité, avec une jolie acidité en finale.
Les vignes qu’on abat 2009
Belle robe grenat presque noir aux bords violacés pour ce pur (et vieux) Carignan qui s’ouvre sur un nez élégant et complexe de cerise, d’amande, d’épices (cannelle, réglisse, pain d’épices) et de pivoine. Là encore, la bouche ne laisse rien entrevoir d’un millésime chaud, elle allie rondeur et fraîcheur, matière savoureuse et tanins bien dessinés, allonge et harmonie. Déjà un régal mais on pourra aussi le laisser en cave plus de dix ans !