Le biogénéticien José Vouillamoz traque sans relâche l’ADN des cépages. La valaisanne Marie-Thérèse Chappaz et le vaudois Raymond Paccot font figure de chefs de file des (trop) rares vignerons helvètes à avoir osé le pari de la biodynamie. Rencontre.
Au même titre que ses illustres voisins français et italien, la Suisse fait partie du berceau historique du vin. À ce titre et comme ailleurs, elle compte son lot de spécialistes – vignerons ou autres – à l’égo démesuré ou d’une superficialité navrante (les deux allant souvent de pair) mais aussi et surtout sa cohorte de petits génies et de personnages avec lesquels il est diablement bon de passer du temps autour du vin.
Tel José Vouillamoz qui, allié à Jancis Robinson, grande dégustatrice britannique, et sa partenaire Julia Harding, vient de publier Wine Grapes (pour l’heure disponible qu’en anglais).
La nouvelle bible des cépages
Ce pavé de trois kilos s’impose incontestablement comme la nouvelle bible des cépages, dépassant tout ce qui avait pu se faire ou s’écrire jusqu’ici sur le sujet. Wine Grapes couvre 1368 cépages et traite de leurs origines, parentés, caractéristiques viticoles et gustatives. Des arbres généalogiques fascinants tissent les liens entre les différentes variétés, donnant une envergure inestimable à l’ouvrage.
« Il y a plus de 200 cépages en Suisse mais seuls 17 sont indigènes, et 16 d’entre eux ne couvrent que 2,6% de tout le vignoble du pays, » rappelle José Vouillamoz. L’exception, c’est le Chasselas, planté sur quelque 4000 hectares, soit presque le quart de la superficie viticole suisse.
Le biogénéticien confirme au passage que le Chasselas est bien originaire de l’arc lémanique, ajoutant qu’on l’appelait Lausannois en 1651 en Bourgogne.
Quant au Pinot noir, cépage désormais le plus planté en Helvétie, il a une kyrielle de descendants : des enfants directs avec le Gouais blanc (Chardonnay, Gamay, Aligoté, Muscadet, notamment) ou plus éloignés suite à des alliances avec des cépages encore non identifiés. La Syrah est ainsi une arrière-petite-fille du Pinot noir.
Tels Marie-Thésèse Chappaz et Raymond Paccot aussi, qui eux se sont intéressés à la biodynamie en 1998 déjà, ce qui en fait des pionniers en Suisse. D’autres adeptes les ont rejoints en 2000. Environ 80% des vignerons du pays travaillent aujourd’hui en production intégrée, 20% en conventionnel et une poignée en bio et/ou en biodynamie.
« La biodynamie contribue à honorer la terre qui rend fertile, » aime à dire Marie-Thérèse Chappaz. Elle aime aussi remettre l’église au milieu du village lorsque les détracteurs de la biodynamie avancent l’argument de l’ésotérisme.
« Il y a une part de croyance quand on parle de forces magnétiques ou d’influences astrales, mais tout autant de phénomène établis. À la base, Rudolf Steiner, père de la biodynamie, était un scientifique des plus rigoureux. Et qui songerait à remettre en cause la boussole?, » dit-elle.
Et de rappeler que le fameux calendrier lunaire a été élaboré par Maria Thun (1922-2012) qui plantait en permanence des radis selon la position des planètes et analysait ce qui se passait dans la durée, notant toutes les variations possibles.
« On début, on a fait de la biodynamie à l’aveugle, sans savoir exactement ce que ça donnerait, » explique pour sa part Raymond Paccot. « Mais très vite, on s’est rendu compte que les moûts présentaient moins de réduction, plus d’acidité, de fraîcheur de fruit, avec au final des vins qui vieillissaient mieux. »
Une approche et une démarche que ni Marie-Thésrèse Chappaz ni Raymond Paccot n’ont jamais eu à regretter, eux qui appartiennent indiscutablement au cercle des grands vignerons suisses.
DÉGUSTATION
Raymond Paccot Le Brez 2011
Ce Chasselas au nez très fin de tilleul, de verveine et de craie, évolue sur une trame ciselée mais non dénuée de volume avec une jolie tension citronnée en finale. Un vin qui reflète bien son terroir caillouteux.
Raymond Paccot La Colombe Noire 2010
Ce Pinot noir est issu de vignes de plus de 40 ans et a été élevé 12 mois en barriques. Mais pas de démonstration boisée ici, les notes fumées se fondent élégamment dans le fruit, dominé par la fraise bien mûre. Un profil de Pinot raffiné que l’on retrouve en bouche, où viennent s’ajouter une touche florale et une délicate minéralité, avec une précision tannique irréprochable.
Marie-Thérèse Chappaz Grain Blanc 2011
Beau nez sur la fleur de pêcher et la bergamote pour cette Petite Arvine qui a conservé 20 grammes de sucre résiduel – « j’ai vendangé trop tard, » admet Marie-Thérèse Chappaz ; mais qu’importe au bout du compte, car derrière la densité de matière, il reste suffisamment de fraîcheur pour que l’ensemble ne s’épaississe ni ne s’alourdisse. La finale s’allonge résolument sur des nuances exotiques. Une vraie gourmandise !
Marie-Thésèse Chappaz Grain Sauvage 2010
Ce pur Humagne rouge porte bien son nom car sauvage il l’est ! Epicé au nez, expressif et tonique en bouche, c’est un vin de caractère qu’il faut apprivoiser, ce qui fait son charme. À garder et à boire avec une viande corsée (gibier, agneau).
Marie-Thérèse Chappaz Grain Noble 2006
Les vins produits à partir de vendanges tardives ont en partie fait la réputation de Marie-Thérèse Chappaz. Ce Grain Noble composé de Marsanne et d’un peu de Roussanne exhale la noix, le sotolon, l’orange confite, le curry, autant d’arômes typiques des grands vins liquoreux. La bouche se fait plus miellée mais pas mielleuse, elle conserve ce dynamisme nécessaire à son équilibre, une ligne précise où il n’y a rien de rôti et qui semble flirter avec l’éternité.